Chapitre 5

 

Il existe mille et une façons de passer un bon samedi matin. Appeler chaque membre du Conseil et leur demander de tout abandonner pour une réunion impromptue n’était pas la meilleure.

Le Conseil de Lugh comptait à présent huit membres, après la récente admission de Barbara Paget, un détective privé qui s’était retrouvé embringué dans notre gentil petit cauchemar. Nous étions loin de former une grande famille heureuse. Mon frère, Andy, qui avait été forcé d’héberger Raphael à plusieurs reprises, détestait ce dernier. Saul, le fils de Raphael, le détestait également – parce que ce dernier avait causé la mort de sa mère. Raphael méprisait Andy pour des raisons qui m’échappaient.

En y réfléchissant bien, si nous avions pu tout simplement nous débarrasser de Raphael, ces réunions n’auraient pas été aussi difficiles à vivre pour le reste d’entre nous. Mais Raphael était loyal et – même si je détestais l’admettre – utile. Sans oublier qu’il était le frère de Lugh.

Andy arriva le premier. Non pas parce qu’il était impatient d’assister au Conseil, mais parce qu’il n’avait rien de plus important à faire que de traîner dans son appartement. Il n’était plus le même depuis la dernière fois que Raphael l’avait possédé. Il était calme et réservé, presque vidé de toute énergie. Son état s’était un peu amélioré après une démonstration d’amour vache de la part de Raphael – appréciez l’ironie – et, au moins, il ne perdait plus de poids. Mais j’étais encore inquiète à son sujet et il m’énervait toujours autant.

Andy avait choisi de devenir hôte parce qu’il désirait être un héros. Il n’avait vraiment pas eu de bol d’être possédé par Raphael. La dernière fois que le démon avait habité son corps, Andy désirait tellement s’en débarrasser qu’il avait été prêt à le refiler à un fanatique de Colère de Dieu qui l’aurait encore plus haï. La culpabilité le rongeait toujours. Je comprenais ce qu’il ressentait – je n’étais pas non plus exempte de remords puisque j’avais permis que tout cela se produise –, mais sa complaisance commençait à m’agacer.

Je m’occupai en préparant une grande quantité de café afin que le silence gênant qui s’installa entre nous ne semble pas aussi… gênant.

Dominic et Adam arrivèrent ensuite et leur flirt joyeux détendit l’atmosphère. Puis vinrent Saul et Barbie ; qui soit étaient ensemble soit se contentaient de baiser, je ne savais pas encore et je n’étais pas certaine de vouloir le découvrir. Brian débarqua à leur suite avec deux dizaines de donuts. Les garçons se précipitèrent dessus comme un banc de piranhas féroces et Barbie et moi éclatâmes de rire derrière nos tasses de café.

Quand l’accueil m’appela pour m’avertir que Raphael montait, il ne restait plus que deux donuts dans la boîte. Saul, qui avait encore du sucre de sa dernière victime tout autour de la bouche, en prit un autre et Andy se jeta sur le dernier. Oui, ils étaient assez mesquins pour n’en laisser aucun à Raphael.

Ce dernier remarqua les boîtes dévastées en entrant et haussa un sourcil.

— Quoi ? demanda-t-il en prenant l’air choqué. Vous ne m’en avez pas laissé ?

Saul ouvrit la bouche et il semblait évident que ce n’était pas son donut qu’il avait l’intention de mordre. J’avais l’habitude de réagir rapidement quand il fallait étouffer leurs chamailleries dans l’œuf.

— Ça t’apprendra à arriver à l’heure, dis-je en lui tendant une tasse de café.

Il consulta sa montre.

— Mmm, elle doit retarder.

J’en doutais. Raphael ennuyait rarement, voire jamais, les autres par hasard. Il aurait donné du fil à retordre à Machiavel. J’avais cessé de chercher à comprendre ce qu’il tramait chaque fois qu’il tentait une de ses manœuvres psychologiques.

En attendant que tout le monde arrive, j’avais déplacé les chaises de la salle à manger dans le salon en formant un grand cercle incluant le canapé et la causeuse. À présent que tous les membres étaient là, nous nous assîmes et je rapportai à tout le monde ce que Shae m’avait appris. Puis je laissai la place aux commentaires et attendis que le feu d’artifice commence.

— Est-ce que l’information de Shae est fiable ? demanda Barbie. Tu as dit que c’était une mercenaire. Comment peux-tu être certaine qu’elle ne te raconte pas des conneries dans l’espoir que tu lui diras quelque chose qu’elle pourra utiliser ?

— « Certaine » ? Bon sang, non, je ne le suis pas, répondis-je. Mais mon intuition me dit qu’elle n’a pas menti. Vous auriez dû voir son regard quand elle a évoqué le fait qu’on lui avait ordonné de se taire. Elle était sacrément énervée.

— Ouais, mais tu n’es pas sûre que c’était bien ça qui l’énervait, insista Barbie.

— Shae n’irait pas à la pêche aux informations sans raison, déclara Raphael. Surtout qu’elle sait que Morgane peut me demander de m’occuper de son cas. Il se passe quelque chose.

J’acquiesçai.

— Ouais, mais quoi ? Et est-ce que cela n’arrive qu’à Philadelphie ?

La conversation se poursuivit même si personne n’avait rien d’intéressant à dire. Je restai assise en retrait et j’écoutai, prête à intervenir au cas où mes services d’arbitre seraient requis. Mais Raphael se tut, ce qui réduisit les chamailleries à leur niveau minimum et… éveilla mes soupçons. Raphael n’est pas du genre à garder son avis pour lui.

Je lui faisais face dans le cercle et, d’après l’expression de son visage, il était absorbé par une profonde réflexion. À propos de quelque chose qui ne le rendait pas particulièrement joyeux.

— Que crois-tu qu’il se passe ? lui demandai-je et tout le monde se tut pour le regarder.

— Je t’ai déjà dit que nous ne pourrions pas rester assis à nous tourner les pouces, répondit-il. (Avant que je puisse protester à cette description grossière de nos activités, il poursuivit :) Je crois que Dougal profite de l’absence de Lugh pour faire passer un grand nombre de démons sur la Plaine des mortels. Et moins nous le dérangerons, plus il expédiera de démons. Et de quel côté pensez-vous que ces derniers seront si le conflit éclate ?

— Seigneur, marmonna Brian. C’est L’Invasion des profanateurs[1].

— Un truc dans le genre, convint Raphael.

Adam en était arrivé à la même conclusion plus tôt mais, même si cette théorie semblait logique, bien que terrifiante, je n’étais pas convaincue que nous ayons assez de preuves pour l’étayer.

— Ne nous emballons pas, dis-je. Tout ce dont nous sommes sûrs, c’est que, selon Shae, il y a davantage de démons illégaux dans son club que d’ordinaire. Nous ne savons pas si ce phénomène se produit partout ou juste à cet endroit.

— Pardonnez mon ignorance, intervint Barbie, mais si Dougal voulait tout simplement envoyer davantage de démons sur la Plaine des mortels, pourquoi ne demanderait-il pas à la Société de l’esprit de revoir ses critères de sélection des hôtes ?

Comme je l’ai déjà dit, la Société de l’esprit vénère les démons – ou « Pouvoirs supérieurs », comme ses membres les appellent. La Société considère qu’il serait indigne pour un démon d’être hébergé par un hôte qui ne soit pas beau.

— Peut-être l’ont-ils déjà fait, répondis-je. Mais même au sein de la Société de l’esprit, le nombre de membres désirant vraiment être hôtes est limité. Le reste d’entre eux aime bien lécher le cul des démons, mais c’est une tout autre histoire quand il est question de se porter volontaire pour abandonner sa vie au profit d’un démon.

Adam émit un grognement exaspéré.

— Combien de fois dois-je te rappeler que les hôtes n’abandonnent pas leur vie ? Mon hôte est en vie, il va bien, et il est tout à fait heureux dans son corps.

Ouais, nous avions déjà eu cette discussion. Et sur un plan rationnel et logique, je savais qu’il avait raison, du moins en ce qui concernait la plupart des relations entre hôtes et démons. Mais d’un point de vue émotionnel, je ne pourrais jamais me défaire de l’impression que les hôtes sont morts, parce qu’ils sont complètement coupés du monde extérieur.

— Nous n’abandonnons pas notre vie quand nous acceptons d’accueillir un démon, dit Dominic. Nous cessons juste de la contrôler. Il y a une différence.

Je levai les mains pour déclarer forfait.

— Très bien, j’ai compris. Mais tout de même, il n’y a pas tant de personnes que ça qui souhaitent cesser de contrôler leur vie pour héberger un démon. Alors si Dougal veut faire venir davantage de ses partisans sur la Plaine des mortels, ouais, bien sûr, il peut demander à la Société de l’esprit de revoir ses critères de sélection, mais cela ne lui fournirait pas autant d’hôtes qu’il l’aimerait. (Je haussai un sourcil en regardant Raphael.) N’est-ce pas ?

Il acquiesça.

— Dougal n’est pas très subtil. S’il veut plus de démons sur la Plaine des mortels, il ne se contentera pas d’une poignée.

— Est-ce qu’on a vraiment envie de savoir ce qu’il compte en faire ? demanda Dominic.

Je frémis à la pensée des possibilités.

— Nous allons trop vite, me dit Lugh. D’abord, nous devons nous assurer que nos suppositions sont correctes. Ensuite, nous nous préoccuperons de ce qu’elles signifient.

Je transmis le message au Conseil et personne ne discuta cet argument.

— Alors confirmons-nous nos hypothèses ? demandai-je à personne en particulier tout en ayant l’impression que je connaissais déjà la réponse.

Raphael me sourit.

— Il semblerait qu’une nouvelle visite aux 7 Péchés Capitaux s’impose.

C’était encore une de ces fois où je détestais avoir raison.

 

Quand on savait à quel point j’avais Les 7 Péchés Capitaux en horreur, il était étonnant de constater que j’y aie mis autant de fois les pieds. Suffisamment en tout cas pour que le videur me reconnaisse et me laisse entrer, même si je n’étais pas membre. Adam, lui, l’était et il présenta Barbie comme son invitée. Raphael n’était pas membre à proprement parler, mais Tommy Brewster, son hôte, avait une carte datant de l’époque où il était possédé par un autre démon.

J’avais toujours considéré Les 7 Péchés Capitaux comme un sex club et ça l’était, en partie. Mais quand vous y entrez pour la première fois, l’endroit ressemble à n’importe quelle autre boîte de nuit : un volume sonore à vous éclater les tympans, la lumière tamisée et un sol qui vibre au rythme des basses de la musique. On y trouve également un bar ordinaire et une piste de danse.

Mais une fois que vos yeux se sont ajustés à la lumière, vous commencez à percevoir quelques différences. Notamment ces groupes de personnes arborant des auréoles d’ange ou des cornes de diable de pacotille, qu’elles prennent sur une table près de l’entrée. Adam m’avait expliqué qu’on portait une auréole quand on cherchait un partenaire pour une séance de baise douce et qu’on optait pour les cornes quand on espérait quelque chose de plus… exotique.

Une pancarte au-dessus de la piste de danse annonçait « Purgatoire » et j’avais toujours trouvé cette désignation appropriée. Les clients coiffés d’auréoles pouvaient louer des chambres au premier étage, appelé « Paradis », et dont le balcon dominait la piste de danse. Et il y avait La Porte, comme je l’appelais. La Porte ouvrait sur une autre partie du club : l’« Enfer », et c’était là que la faune SM traînait… et jouait. Je n’y étais descendue qu’une seule fois, mais ce que j’y avais vu était resté imprimé sur ma rétine et il aurait fallu me payer très cher pour que j’y retourne.

J’aurais déjà été assez dégoûtée si ce qui se passait dans cet endroit relevait du SM humain – au sujet duquel Dominic m’avait assuré qu’il s’agissait de plaisir mutuel, même si ce dernier était atteint par des procédés non conventionnels –, mais au contraire des humains, les démons aiment la douleur. N’ayant pas de corps au Royaume des démons, beaucoup d’entre eux trouvent les sensations physiques – toutes les sensations – fascinantes. Ajoutez à cela leur capacité à soigner des blessures qui tueraient un humain et vous voilà avec un tableau mélangeant votre pire cauchemar et le plus atroce film d’horreur.

— Je vais prendre une chambre, me cria Adam à l’oreille.

N’ayant pas envie de crier à m’en casser la voix, je me contentai d’acquiescer. Raphael, Barbie et moi restâmes dans une alcôve particulièrement sombre près de l’entrée en essayant de ne pas attirer l’attention. Ce qui n’était pas difficile. Les clients, pour la plupart, étaient occupés avec leurs futurs partenaires ou bien étaient tellement saouls qu’ils se fichaient de ce qui se passait autour d’eux.

Adam revint très vite avec une clé sous forme de carte magnétique. Il monta avec Raphael pour ouvrir la chambre puis redescendit pour donner la carte à Barbie qui la fourra dans la poche arrière de son jean.

— Bonne chasse ! brailla Adam avec un haussement suggestif des sourcils.

Barbie éclata de rire. Quant à moi, je lui adressai un regard mauvais.

Barbie posa une des auréoles sur sa tête, ce qui lui donna d’un coup l’air ridicule, puis elle se dirigea vers le bar et je lui emboîtai le pas. Raphael, l’auteur de notre vilain petit plan, avait très précisément décrit les caractéristiques de notre cible. Tout d’abord, il fallait que ce soit un démon qui ne soit pas accro à la douleur. Ils avaient bien sûr leurs limites aussi, mais interroger l’un d’entre eux serait… particulièrement désagréable. Raison pour laquelle Barbie s’était coiffée d’une auréole. Le démon devait également coller à la description faite par Shae de ces nouveaux illégaux et avoir une apparence assez proche de celle d’un SDF.

Et c’était à ce moment-là que j’entrais en scène. Parce que ces démons ne ressemblaient pas aux spécimens stéréotypés dotés d’un physique à tomber par terre, il serait difficile pour Barbie de faire la différence entre un nouveau démon et un humain en sale état. Je devrais alors entrer discrètement en transe pour vérifier l’aura de celui que Barbie envisagerait de conduire au premier étage et m’assurer qu’elle était bien rouge.

Je n’étais pas certaine d’être capable d’accéder à un état second en pareilles circonstances. Je n’ai pas besoin de tout le tremblement impressionnant indispensable à beaucoup d’exorcistes pour provoquer leur transe, mais je craignais que la musique et la foule soient une distraction, même pour moi. Pourtant, j’y étais parvenue par le passé en des situations loin d’être idéales, donc j’espérais en être aussi capable ce soir-là.

Je continue à appeler Barbara « Barbie », malgré ses efforts répétés pour que je cesse, parce qu’elle ressemble à une poupée. C’est une petite blonde bien roulée avec un visage de poupée de porcelaine. Oui, je la hais même si, malgré tout, je l’apprécie au-delà de mes espérances.

Son apparence délicate faisait d’elle un appât idéal et nous avions à peine bu les premières gorgées de nos boissons qu’un candidat potentiel reniflait déjà ses jupes. Je n’aurais pas dû être surprise qu’il s’agisse d’une femme. C’était un club pour démons après tout et j’ai déjà évoqué leur absence de préférences sexuelles.

L’admiratrice de Barbie collait parfaitement à notre profil. Elle était bien trop maigre pour son bustier à bretelles qui dévoilait ses épaules squelettiques et ses clavicules saillantes. Elle avait des pommettes taillées à la serpe et des cernes autour des yeux. Sa chevelure sèche et crépue, d’un blond peroxydé, était divisée par une raie qui révélait ses racines brunes. Elle aurait été mignonne avec un poids correct et une teinture de cheveux convenable mais, dans cet état, elle était horrible. Elle ne correspondait définitivement pas au profil des hôtes légaux de démons approuvés par la Société de l’esprit.

Je n’entendis pas ce que Miss Peau-sur-les-os dit à Barbie, mais son sourire était suffisamment lascif pour que je saisisse le sens de ses propos et que je constate qu’elle avait aussi une dent de devant ébréchée.

Je m’attendais que Barbie se mette à flirter, mais elle passa le bras autour de ma taille dans un geste possessif et secoua la tête en souriant légèrement. Miss Peau-sur-les-os fit la moue. Je ne bronchai pas, m’efforçant de ne pas montrer ma surprise. Je suis mauvaise comédienne, il valait mieux que notre cible potentielle n’ait d’yeux que pour Barbie.

Miss Peau-sur-les-os pinça gentiment l’épaule de Barbie.

— Si tu changes d’avis, je suis au bar, dit-elle avant de s’éloigner d’un pas nonchalant en croyant sûrement que sa manière de rouler du cul était sexy et non pathétique.

Barbie laissa tomber le bras qu’elle avait passé autour de ma taille et s’écarta pour me laisser un peu d’espace. Je fronçai les sourcils.

— C’était une candidate idéale, protestai-je. Pourquoi tu l’as envoyée bouler ?

Je doutais que Barbie ait agi par homophobie puisqu’elle avait prétendu être avec moi, mais je ne parvenais pas à comprendre sa réaction.

— J’ai pensé qu’il valait mieux choisir un homme, répondit-elle en se rapprochant de moi afin de ne pas communiquer ses propos à la salle entière – même si personne n’aurait pu l’entendre par-dessus le braillement de la musique. Je ne voudrais pas qu’Adam et Raphael jouent les chochottes.

Heureusement que je n’étais pas en train de siroter ma boisson parce que j’en aurais recraché la moitié à l’autre bout de la pièce en explosant de rire. Barbie était membre de notre Conseil depuis deux mois, mais puisque rien de spécial ne s’était passé, elle n’avait pas eu l’occasion de voir Adam et Raphael en action. S’il existait deux autres personnes moins enclines à la délicatesse – en quelques circonstances que ce soit –, je ne tenais pas du tout à les rencontrer.

— Fais-moi confiance, m’esclaffai-je. Ils ne risquent pas… (Le fou rire menaça de me reprendre et j’inspirai plusieurs fois profondément pour le réprimer.) Ils ne risquent pas de s’encombrer de galanterie, poursuivis-je quand j’en fus enfin capable.

— Très bien, répondit Barbie. (Ses pommettes rougies témoignaient que mon éclat de rire l’agaçait.) C’est peut-être moi qui suis délicate. Je préférerais choisir quelqu’un qui n’ait pas l’air aussi pathétique.

— Ça risque d’être difficile puisque « pathétique » fait partie des critères que nous recherchons.

Nous nous tournâmes toutes les deux vers le bar où Miss Pathétique était assise à siroter une sorte de boisson fruitée. Personne ne lui parlait. Bon sang, personne ne la regardait. Elle devait être un des seuls démons dans ce club à avoir des problèmes pour se faire baiser.

Barbie se mordit la lèvre inférieure.

— Tu es sûre que c’est un démon ?

Oui, j’en étais sûre. Mais pas sûre de la manière dont pensait Barbie. J’inspirai donc profondément et fermai les yeux.

— Je vais te dire ça dans une minute, dis-je en ajoutant intérieurement : je l’espère.

Je ne savais toujours pas si cela allait fonctionner. La musique qui battait jusque dans mon corps me distrayait même quand j’essayais de ne pas y prêter attention. J’inspirai et sentis l’odeur de l’alcool, de corps en sueur et d’effluves d’eaux de Cologne diverses.

Sans ouvrir les yeux, je plongeai la main dans ma poche et en sortis le mouchoir en papier que j’y avais fourré. Avant notre départ pour le club, je l’avais imbibé de quelques gouttes d’huile parfumée à la vanille. Je fis semblant de m’essuyer le nez en m’emplissant les poumons de cette fragrance familière.

À la troisième inspiration, le club commença à s’estomper autour de moi et la musique parut soudain très lointaine. Je me laissai submerger par la transe puis j’ouvris mes yeux d’un autre monde.

Ce que je vis faillit presque me faire sortir aussitôt de la transe, même si j’aurais dû être préparée à une telle vision. C’était une boîte de nuit pour les démons. Je savais que la plupart des clients étaient des démons. Mais je ne pus réprimer ce moment de terreur existentielle quand je découvris cette étendue d’auras rouges. Je distinguai aussi des humains, bien sûr, leurs auras bleues ponctuant cette mer écarlate comme des balises flottantes. Mais je n’avais pas imaginé que les démons seraient à ce point plus nombreux que les humains.

Je me contraignis à me calmer puis je me concentrai vers le bar. Ce fut plus difficile que prévu parce que, lorsque je suis en transe, je ne peux pas voir les objets, mais seulement les êtres vivants. Le bar, qui était un objet inanimé, était donc invisible pour moi. Ma perception de la profondeur était également pervertie et je ne parvenais pas à savoir jusqu’où je devais regarder.

Un instant, j’eus peur de ne pouvoir y parvenir. Puis je remarquai une série d’auras qui formaient presque une ligne droite derrière laquelle une seule aura humaine se déplaçait et je compris qu’il devait s’agir du bar. Mis à part le barman, il n’y avait qu’un seul autre humain près du comptoir et il, ou elle, se trouvait à son extrémité.

Je sortis de ma transe en m’ébrouant et ouvris mes yeux de ce monde. Miss Pathétique était toujours assise seule au bar, sans que personne lui prête attention, et puisqu’elle ne se trouvait pas à son extrémité, elle ne pouvait pas être l’humain que j’avais distingué au cours de ma transe.

— C’est un démon, dis-je à Barbie.

Barbie soupira.

— Très bien. Je vais aller lui dire que j’ai changé d’avis.

Elle n’avait pas l’air de s’en réjouir pour autant, mais c’était certainement parce qu’elle n’avait pas assez fréquenté les démons. Il lui était difficile de regarder au-delà de l’emballage pour voir l’être puissant, presque immortel, qui vivait à l’intérieur.

J’observai Barbie se frayer un chemin dans la foule grouillante et approcher du bar. Le visage de Miss Pathétique s’illumina quand Barbie se glissa près d’elle et je ressentis moi-même un pincement de culpabilité de lui donner tant d’espoir avant de l’anéantir. Et pire encore.

J’étais certaine que Barbie se sentait tout aussi coupable, peut-être encore plus, et je m’attendais à moitié qu’elle s’éloigne. Mais elle s’était engagée sur ce chemin et elle n’en déviait pas. Sa proie n’avait aucune chance. Barbie aurait pu convaincre un pasteur de braquer une banque d’un simple mouvement du doigt.

Après quelques minutes de conversation, Barbie prit la main de Miss Pathétique et la conduisit vers l’escalier menant au premier étage.

Je sortis mon téléphone portable et envoyai un message à Adam : « en approche ». Puis je suivis Barbie en lui laissant assez d’avance pour que Miss Pathétique ne me remarque pas. Même si elle semblait incapable de s’intéresser à autre chose que Barbie à ce moment-là.

Le club était climatisé, mais aucune installation au monde ne pouvait faire le poids face à une nuit aussi chaude et humide, pas avec deux cents personnes irradiant de chaleur. La moitié des danseurs paraissaient tout juste sortir de la douche. Leurs cheveux étaient mouillés et la sueur leur collait les vêtements à la peau.

Le temps que je traverse la salle, j’étais en nage moi aussi et prête à flanquer par terre la première personne qui m’attraperait pour me tirer sur la piste de danse. L’alcool coulait à flots ce soir-là, et la foule était plus turbulente que lors de mes précédentes visites.

Barbie et notre proie venaient d’entrer dans une chambre au bout du couloir quand je parvins en haut de l’escalier. Je regardai la piste en contrebas tout en me frayant un passage au milieu des simples spectateurs et j’aperçus Shae. Elle déambulait avec grâce au milieu de la foule en surveillant son domaine. Je m’écartai de la rambarde et me dépêchai en rasant le mur. Je doutais que Shae émette une objection à notre plan, mais moins elle en saurait mieux on se porterait.

Il n’était pas facile de traverser une foule en sueur et saoule, constituée en grande partie de démons. Quand j’arrivai enfin à la porte derrière laquelle Barbie et Miss Pathétique avaient disparu, j’avais l’impression d’avoir couru un marathon.

Je frappai à la porte – deux séries de trois coups qui correspondaient à notre signal – et, quelques secondes plus tard, elle s’entrouvrit juste assez pour que je puisse me glisser à l’intérieur.

C’était Barbie qui m’avait ouvert. Sa peau déjà claire était encore plus pâle que d’ordinaire et ses yeux brillaient de larmes. Son auréole reposait chiffonnée dans un coin, là où elle l’avait probablement jetée. Barbie était loin d’être une mauviette, mais elle n’avait sûrement pas été exposée à autant de violence que le reste d’entre nous.

Miss Pathétique, recroquevillée par terre en position fœtale, sanglotait. Raphael se tenait entre elle et la porte tandis qu’Adam tournait autour de sa proie comme un requin.

— J’espérais que tu serais plus loquace, Mary, déclara Adam d’une voix ronronnante qui était bien plus menaçante que le rugissement le plus féroce.

Même avec la porte close, la musique de la piste de danse demeurait péniblement forte, mais la voix d’Adam portait bien au-delà du vacarme ambiant.

— Laisse-moi te reposer cette question, dit-il gentiment. Depuis combien de temps es-tu sur la Plaine des mortels ?

— Tout ce qu’ils sont parvenus à lui soutirer jusqu’ici, c’est son nom, me dit Barbie d’une voix volontairement basse.

Je pense qu’elle essayait de dissimuler un chevrotement. Je me rendis compte que cette scène ne me dérangeait pas autant qu’elle la perturbait, et c’était mauvais signe. Quelques mois plus tôt, cela aurait été le cas.

Aucun meuble n’avait été amoché, aucune entaille dans le mur, pas de verre brisé, je supposai donc que Mary n’avait pas résisté quand Adam et Raphael lui étaient tombés dessus. Elle n’aurait pas été capable de les repousser, mais j’étais surprise qu’elle n’ait même pas essayé. Les démons n’étaient généralement pas des poules mouillées, même ceux qui n’aimaient pas la douleur.

— Depuis combien de temps ? rugit Adam.

Mary se recroquevilla davantage sur elle-même.

— D-deux j-jours, bégaya-t-elle d’une voix rendue incompréhensible par sa position : le menton collé contre la poitrine et la tête entre les bras.

Le fait qu’elle chiale n’arrangeait pas les choses.

— Très bien, dit Adam de son ton le plus condescendant. Maintenant, il me paraît clair que tu possèdes un hôte non consentant. J’aimerais savoir de quelle façon tu es arrivée sur la Plaine des mortels et pourquoi tu te retrouves dans ce corps-là. Si tu parles, je ne te frapperai plus.

Mary se détendit un peu sans abandonner la position fœtale. Cédant à l’inévitable, je suppose.

— Mon hôte m’a appelée, répondit-elle sur la défensive.

— Il y a une différence entre consentir à faire quelque chose et vraiment le vouloir. Dis-moi, ma très chère Mary, est-ce que ton hôte a pratiqué la cérémonie d’invocation de son plein gré ?

Mary ne répondit pas et Adam la punit d’un coup de pied brutal qui me fit grimacer et coupa le souffle de Barbie. Je dus encore une fois me rappeler qu’il s’agissait d’un démon, pas de la fragile mortelle qu’elle paraissait être. Et qu’elle avait possédé cet hôte alors que ce dernier n’était pas consentant – lui volant sa vie, violant toutes ses frontières. Mary ne méritait pas notre clémence. Peu importait combien elle était pitoyable.

— Ai-je besoin de répéter ma question ? demanda Adam. Ou préfères-tu me répondre tout de suite ?

— Non, mon hôte n’était pas vraiment consentant, sanglota Mary désespérément. Ils lui ont fait du mal, puis ils ont menacé de la tuer si elle ne pratiquait pas l’invocation.

— « Ils » ? insista doucement Adam. Qui ?

— Elle ne sait pas. Ils portaient des masques.

— Je ne t’ai pas demandé si ton hôte savait de qui il s’agissait. Je t’ai demandé qui ils étaient.

— Je vous en prie, fit Mary dans un nouveau sanglot. Je n’en sais rien. Je n’ai pas posé de question. Je voulais juste m’en aller.

— T’en aller d’où ? demanda Adam, les sourcils froncés.

— De prison, hoqueta-t-elle.

— Merde, s’exclama Adam, et la réaction de Raphael fut encore plus imagée.

Je ne savais pas vraiment ce que cette réponse signifiait pour eux, mais je ne comptais pas leur poser la question devant Mary.

— Combien de détenus ont-ils été envoyés sur la Plaine des mortels ? demanda Raphael.

Il valait mieux pour Mary qu’elle garde la tête baissée pour se protéger, car l’expression du visage de Raphael aurait pu la faire mourir de terreur.

— Je ne sais pas.

Adam gronda et Mary leva la tête pour la première fois depuis mon entrée dans la pièce. Jusque-là je la trouvais pathétique, mais à présent elle était particulièrement hideuse – les larmes teintées de mascara avaient laissé des traces sur son visage couvert de bleus, un ruisseau de sang serpentait depuis sa lèvre fendue jusqu’à son menton et ses yeux étaient emplis de terreur et de désespoir.

— Je vous en prie, implora-t-elle. Je vous en prie ! je n’en sais rien. Je ne suis personne. Cela fait des siècles que je suis emprisonnée. Ils m’ont accordé le pardon et ils m’ont libérée, mais dès que je suis sortie, on m’a donné l’ordre de venir sur la Plaine des mortels.

Adam tournait toujours en cercle autour d’elle et Mary le suivit du regard jusqu’à ce qu’il sorte de son champ de vision. Elle ne tourna pas la tête pour le suivre davantage des yeux, mais ferma les paupières et se raidit, les muscles tremblants.

Était-ce ce qui arrivait aux démons qui avaient été emprisonnés ? Ou bien avait-elle toujours été aussi lamentable ? J’avais le désagréable pressentiment que la première option était la bonne. Je ne pouvais imaginer ce paquet de nerfs terrifié avoir assez de cran pour violer la loi.

— Je te le demande une nouvelle fois : qui sont-ils ? dit Adam. Donne-moi des noms.

Mais Mary secoua la tête.

— Je ne sais pas qui ils étaient. Je sais juste qu’ils faisaient partie de l’élite et ils m’ont dit qu’ils m’élimineraient si je me trouvais encore au Royaume des démons quand ils viendraient me chercher.

Barbie fronça les sourcils, intéressée malgré elle.

— Je pensais qu’il fallait attendre des décennies pour venir sur la Plaine des mortels. Comment y es-tu parvenue aussi rapidement ?

Mary recula.

— J’ai sauté, chuchota-t-elle en se raidissant davantage comme si elle s’attendait à recevoir un coup.

Je penchai la tête sur le côté.

— Ça veut dire quoi ?

Adam crispa les mâchoires.

— Ça veut dire qu’elle est passée avant tout le monde. Nous pouvons tous sentir l’appel d’une invocation générale, mais c’est illégal d’y répondre quand ce n’est pas notre tour. (Il baissa les yeux sur Mary, l’air entendu.) Pourquoi étais-tu en prison ?

Elle hésita, mais répondit tout de même avant qu’Adam la moleste.

— Pour avoir sauté.

Il acquiesça.

— Bien. Alors cela n’a choqué personne que tu sautes de nouveau dès ta sortie de prison.

— Je ne l’aurais pas fait s’ils ne m’y avaient pas obligée ! protesta-t-elle. Je ne veux pas retourner en prison.

Adam ne prêta pas attention à sa réponse.

— Et que t’a-t-on dit de faire une fois que tu serais sur la Plaine des mortels ? Parce que je ne peux pas croire une seconde qu’ils t’aient expédiée ici sans un fil à la patte.

— Non, dit-elle en reniflant bruyamment. Il y a des contraintes en effet.

— Je t’écoute, insista Adam voyant qu’elle ne poursuivait pas.

— Il y a un démon, je ne connais pas son nom. Je dois le contacter une fois par semaine et il peut avoir des missions à me confier.

— De mieux en mieux, marmonna Raphael en secouant la tête.

Adam ne fit pas attention à lui.

— Alors quand dois-tu le contacter la prochaine fois ?

Mary tressaillit.

— Je vous en prie. Je vais retourner en prison si je le trahis !

Adam la saisit à la gorge. La pauvre créature était trop anéantie pour lutter contre ce geste.

Super. Voilà que je considérais qu’un démon qui avait possédé un hôte non consentant était une « pauvre créature ». Quelle âme sensible je suis !

— Il y a pire que de retourner en prison, Mary, déclara Adam sur le même ton menaçant. Quand dois-tu le rencontrer ?

— Jeudi.

Adam ne la relâcha pas, mais il ne semblait pas serrer non plus. La menace suffisait à la rendre docile.

— Et où dois-tu le rencontrer ?

Elle déglutit.

— Je ne sais pas. Il doit m’appeler à deux heures pour me dire où.

Ses yeux s’écarquillèrent d’une terreur renouvelée comme si elle était persuadée qu’Adam ne la croirait pas et qu’il allait de nouveau lui faire du mal. Adam réfléchit un moment.

— Très bien. Voici ce que nous allons faire : je vais te donner ma carte, dit-il en lâchant sa gorge pour plonger la main dans la poche arrière de son pantalon et en sortir son portefeuille. Dès que tu as des nouvelles de notre homme mystérieux, tu m’appelles et tu me dis où tu dois le retrouver.

— Je vous en prie…

— N’envisage même pas de t’enfuir ni d’appeler à l’aide ni de me mentir. Je peux te retrouver où que tu sois et crois-moi, il vaut mieux pour toi que ça n’arrive pas.

Ses épaules s’affaissèrent et elle baissa la tête. Muette, elle se contenta de hocher la tête. Tout son corps n’exprimait que défaite et douleur. Je ressentis un nouveau pincement de pitié.

Je crois que même Adam commençait à être désolé pour elle parce que sa voix, quand il parla de nouveau, était étonnamment douce.

— Le cabinet de toilette est juste à côté, dit-il. Pourquoi n’irais-tu pas te nettoyer le visage ? Ensuite, tu pourras partir.

Je pense que si Mary avait eu le choix, elle se serait précipitée tout de suite hors de la pièce, le visage en sang et maculé de mascara, peu importait. Mais elle interpréta la proposition d’Adam comme un ordre et se glissa discrètement dans la salle de bains. Si elle avait été un chien, elle aurait eu la queue fermement coincée entre les pattes.

Nous attendîmes tous les quatre en silence pendant que Mary se débarbouillait. Nous évitions de nous regarder. Était-il possible que même Raphael éprouve de la pitié pour notre informatrice potentielle ?

Mary avait meilleure allure quand elle ressortit de la salle de bains. Elle n’avait pas seulement enlevé les traces de mascara et de sang de sa lèvre fendue, elle s’était débarrassée de tout son maquillage. Ses yeux paraissaient moins enfoncés sans ombre à paupières et la coupure s’était déjà refermée même si sa lèvre portait encore une vilaine marque rouge.

Elle nous regarda avec prudence, dos au mur, les épaules voûtées.

— Tu peux y aller maintenant, lui dit Adam.

Nous nous écartâmes un peu pour lui laisser la place de sortir sans trop s’approcher de nous.

— Je suppose que je n’ai pas besoin de préciser que nous n’avons jamais eu cette conversation.

Elle acquiesça puis elle recula lentement vers la porte, son regard fusant çà et là. Quand elle y parvint, elle l’ouvrit d’un coup et se jeta hors de la chambre en la claquant. Malgré le vacarme de la musique, nous pûmes entendre la foule protester tandis que Mary s’y frayait un chemin avec virulence pour s’éloigner le plus vite possible de nous.

Péchés Capitaux
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